Chapitre 15

Forgent le caractère

Le taxi vint me prendre à la sortie de l’aéroport. Tandis qu’il me ramenait chez moi, je regardais le paysage parisien défilé. C’est drôle, mais il ne m’avait pas manqué. Harry me réceptionna à l’arrivée, il avait rangé tout l’appart et fait ma chambre. À peine mon sac posé par terre, il me prit dans ses bras.

-« je suis là. » murmura t-il.

Moi aussi je suis là, de retour.

Je retirais mes grosses lunettes noires, mes yeux étaient tout boursouflés. Il me tendit un verre de vin.

-« tu as besoin de quelque chose de plus fort ? »

J’esquissais un petit hochement de tête.

Il me versa un verre de vodka-glace. Il resta avec moi une bonne partie de la soirée, puis je le convaincs que tout allait bien et que je devais juste dormir pour être d’attaque demain. Il me laissa enfin seule. J’éteignis toutes les lumières du salon et me posais devant la fenêtre. Le regard au loin. Mais je n’étais pas seule ce soir, pas complètement, Joni Mitchell était là aussi. Avec moi, avec mon immense chagrin, mon énorme incompréhension, ma triste personne.

Comment ais-je pu faire ça?

C’est la seule, la vraie, l’ultime question.

Je ne suis rien, je ne suis personne. Et je ne veux plus parler, plus jamais prononcer un mot, plus entendre quoique se soit sur la vie, je déteste vivre… respirer est une atroce souffrance…

« Maintenant j’ai regardé l’amour des deux façons
Donner et prendre et cependant je ne sais pourquoi
Ce sont les illusions de l’amour que je retiens
Vraiment l’amour je ne le connais pas du tout
Larmes et peurs et sentiment de fierté
De dire je t’aime à haute et intelligible voix
Rêves, projets et cirques bondés
C’est ainsi que je voyais la vie
Mais maintenant de vieux amis se comportent bizarrement
Ils hochent la tête, disent que j’ai changé
Certes on perd quelque chose, mais on gagne autre chose
À vivre chacun de nos jours à fond.

Maintenant j’ai regardé la vie des deux façons
Gagner et perdre et cependant je ne sais pourquoi
Ce sont les illusions de la vie que je retiens
Vraiment la vie je ne la connais pas du tout. »

Both sides now. J.M.

Les jours passèrent, de toutes façons je ne sais pas arrêter le temps, alors on continu. On se lève le matin, on mange, on respire, on fait toutes les choses liées au quotidien. Tout en gardant la tête haute, le sourire accroché aux lèvres, pour que personne ne posent de question.

Pour ne pas entendre un énième « ça va ? ». On reste ce qu’on a toujours été, pour ne pas surprendre ceux qui nous connaissent, pour ne pas les effrayer. On sort avec eux, on dine avec eux, on les écoute, on rit à leur blague. Mais en vérité, on hoche la tête parce que les mots sont trop lourds dans notre bouche, on rit pour cacher notre envie de pleurer, on écoute pour penser à autre chose, pour relativiser, on fait toutes ces sorties pour ne pas hurler de partout et sur tous les toits que notre cœur, ce putain de cœur est brisé !! Parce que oui mon cœur est brisé…

-« tu as dormi cette nuit ? »

Kathya se sentit obligée de ranger ma valise.

J’esquissais un petit sourire. Pour la rassurer probablement, alors que la vérité est que je ne dors plus, plus l’envie. Le poste de radio était branché, comme pour donner une certaine dimension de gaieté à l’appartement. Contre toutes attentes la grande Nina Simone entama une chanson connue, je me dirigeais vers le poste, attendis un instant de voir si je pouvais, mais finalement appuyais sur le bouton STOP.

-« tu devrais aller voir tes parents ce week end. » me dit elle.

Pas envie non plus. Pas envie d’affronter mon père, je ne lui avais pas parlé depuis le spitch au téléphone. Et je n’en avais pas la force pour le moment.

-« Oh, Loula tu n’as toujours pas branché ton pc… » Dit-elle en s’activant dans mon espace vital.

Elle m’exaspérait au plus haut point. Et je ne me sentais plus du tout enclin à arrêter de parler.

-« je suis partie…. » Murmurais-je.

Elle se retourna sur moi, avec son regard de cocker tout mignon tout plein. Bref elle me regardait comme si elle avait pitié de moi.

-« Oh… loula, oui… tu es partie… mais ça va aller…. »

Elle me serra dans ses bras. Me répétant que tout irait bien, qu’à chaque jour suffit sa peine, que demain le soleil se lèvera sur mon monde gris et autres inepties agaçantes que l’on peut entendre quand tout va mal. Je les appelle les phrases toutes faites, facile à placer n’importe quand. Et pourquoi ont-elles été inventées ? Parce qu’elles servent la cause des amies et autres personnes prêtes à t’écouter te lamenter, mais pas trop, du coup ces gentilles personnes te balancent leur laïus tiré tout droit du livre « comment vous débarrasser d’une discussion qui ne tourne pas autour de vous ». Je déteste ça, il est vrai que je suis la preuve vivante que les gens nombrilistes existent, mais autant de déférence me scie. Personnellement quand j’écoute quelqu’un qui va mal, je tente de lui expliquer ma vision de la vie et ce que j’en ai entendu dire d’autres qui ont mieux réussi que moi, ou alors je me tais ! Mais j’évite à tous pris tous les « un tien vaut mieux que deux tu l’auras », en plus ça ne veut rien dire !! Ou encore « pierre qui roule n’amasse pas mousse » alors celle là c’est ma préférée dans la catégorie, tente de la placer dans une vraie discussion, on verra qui aura l’air d’un con !

Tout ça pour en revenir à Kathya. Ma Kathya toujours agrippée mon cou. Comme si c’était elle qui avait besoin d’une bouée à laquelle se rattacher. J’allais reparler, quand la sonnette résonna.

-« attends, je reviens ça doit être Harry. »

Elle se précipita sur la porte, je les entendis parler de moi.

-« alors, elle va comment aujourd’hui ? »

-« pas super, elle vient de réaliser qu’elle était partie… »

Je soupirais, je pense que mes chers amis n’avaient pas compris que j’étais à côté et amen d’entendre leur conversation.

-« j’ai apporté des magasines féminins, Hannah m’a dit que ça l’aidait pas mal quand elle était déprimée. »

-« non mais là, elle a outre passée la simple déprime menstruelle, elle est au fond d’un grand puits, Harry.. »

Je soupirais une nouvelle fois.

-« JE SUIS A CÔTE MAIS J ENTENDS TOUT ! » dis-je avec lassitude.

Harry passa la tête dans l’embrasure de la porte, suivit de Kathya.

-« désolé ma belle. Comment tu vas aujourd’hui ? »

J’haussais les sourcils.

-« je vois. » dit-il « tiens des journaux people. »

Il me posa une grosse pile devant le nez.

Kathya me tendit un verre de lait.

-« tiens c’est pour le calcium, ça te fera du bien. »

-« merci maman. » dis-je d’un air renfrogné.

Elle se tortillait sur place.

-« alors, tu vois, Loula, tu es revenue et on est toujours tes amis… »

Elle interpella Harry du regard, qui ne comprit pas où elle voulait en venir. Puis réalisant, il me dit.

-« oui, on est là pour toi. »

Je soupirais me levant du canapé, je posais le verre de lait sur le bar. Et dos à eux je dis.

-« j’ai dit que j’étais partie, parce que c’est ce que j’ai fait. »

Je me retournais vers eux, accoudée au bar.

 

Archives